Selon que l’on se réfère au premier écrit de Freinet en 1924 (Expression libre par l'imprimerie à l'école) ou à son dernier ouvrage de référence les « invariants pédagogiques », la pédagogie Freinet a 100 ans… ou 60 ans et avouons-le, non seulement elle n’a pas pris une ride, mais elle est toujours aussi incroyablement moderne, voire… d’avant-garde. Freinet, c’est un couple : Célestin et Elise. À L’Atelier STABILO, nous nous sommes re-plongés dans ces techniques[1] et nous avons été impressionnés par tant d’innovation. Reconnue par l’Education Nationale, il semble que la pédagogie ne soit appliquée à 100 % que dans une vingtaine d’établissements en France mais elle inspire sans nul doute des milliers d’enseignants.
Les principes de la pédagogie Freinet
Avec Freinet, l’enfant est au cœur du projet éducatif. Il acquiert autonomie, il expérimente, il est responsabilisé. Le travail de groupe est encouragé, comme la découverte du monde - réel qui entoure l’école.
Le tâtonnement expérimental
« Il s’agit de laisser les enfants émettre leurs propres hypothèses, faire leurs propres découvertes, éventuellement constater et admettre leurs échecs mais aussi parvenir à de belles réussites dont ils peuvent se sentir les vrais auteurs. Les résultats ? Une motivation très forte, une implication immédiate de chaque enfant, qui acquiert ainsi confiance en lui et en ses possibilités de progresser par lui-même. L’intérêt réside aussi dans le fait qu’il est inutile d’apprendre par cœur quelque chose que l’on a découvert par le tâtonnement expérimental ; on s’en souvient sans effort. [...] », exprime Freinet dans ses ouvrages. On sait bien que Benjamin Franklin l’avait dit avant : « Tu me dis, j’oublie, tu m’enseignes, je me souviens, tu m’impliques j’apprends » et même Montaigne : « Un enfant n’est pas un vase qu’on remplit mais un feu qu’on allume » (ou un Rousseau) mais à l’époque, c’est carrément une révolution. Dans les années 50, point de place à un enfant acteur de ses apprentissages, c’est encore souvent à coups de règle sur les doigts qu’on apprend (par cœur) sa leçon.
Un rythme d’apprentissage individualisé et l’autonomie favorisée
La pédagogie Freinet porte une attention particulière au rythme d’apprentissage de chaque élève. Si l’enseignant fixe avec la classe une feuille de route collective pour la semaine, ensuite chaque élève définit les tâches et activités qu’il accomplira individuellement, en fonction de ses capacités et de ses objectifs. Il progresse à son rythme. Il a à sa disposition des fichiers scolaires qui contiennent des fiches en grammaire, calcul, etc. La documentation comprend trois sortes de fiches : les fiches documentaires donnant des indications précises, les fiches mères contenant l'indication des notions à acquérir, les fiches d'exercices renfermant des séries de problèmes et exercices divers et gradués pour le travail individuel. Toujours dans le sens de l’autonomie, les fichiers permettent aux élèves de se corriger par eux-mêmes. En élaborant son propre planning hebdomadaire, l’élève se prend naturellement en charge, développe son autonomie et se responsabilise.
Coopération et coopérative
La coopération est au cœur de la pédagogie Freinet. Il encourage les travaux de groupes, quelles que soient les disciplines, y compris l’écriture collective. Elle permet de développer le dialogue, la capacité d’organisation, le sens du respect et de la solidarité, l’autonomie et la responsabilisation. Les élèves peuvent former librement leurs groupes de travail, l’enseignant veillant à ce que le groupe soit hétérogène pour que chacun bénéficie des compétences des autres. La classe est organisée de manière collective : règles de vie, échanges collectifs, conflits font l’objet de discussions. Même la coopérative (financière) est gérée avec les enfants.
L’organisation de la classe : attention avant-gardisme !
Avec Freinet, dès le milieu du XXème siècle, l’estrade disparaît : l’enseignant ne doit pas dominer mais se mettre à niveau. L’enseignant accompagne les élèves, les responsabilise et délègue même certaines responsabilités. La classe renversée n’a rien inventé !
Du côté de l’organisation de la classe, là aussi, nombre de classes sont inspirées par les méthodes de Célestin ! La classe est organisée avec une aire de travail qui accueille les projets de groupes. Agencée en îlots, elle est équipée de matériel pour les sciences, le bricolage ou les activités créatrices. Une deuxième aire permet aux élèves de se réunir en classe entière : les tables ne sont plus placées face au professeur mais les uns face aux autres en U. Ainsi, les élèves communiquent plus facilement pendant les temps collectifs quotidiens. Une bibliothèque de travail et de détente ainsi qu’un espace de recherche d’information sont aussi proposés aux élèves.
L’expression libre et la petite imprimerie
« Dessin, peinture, textes, expression orale ou corporelle… il ne s’agit pas d’imposer un sujet ou un modèle à l’enfant. Pour produire, il va puiser dans ses propres ressources créatives, choisir les sujets et les émotions qu’il souhaite exprimer ». Freinet encourage la réalisation du journal scolaire mais aussi les échanges entre écoles par le biais de la correspondance écrite. Les exposés, dont les thèmes sont choisis par les élèves, sont au cœur des apprentissages mais ils sont préparés en classe, en groupe, et non à la maison.
Ah oui, aussi, il n’y a pas de devoirs avec Freinet et on encourage les enfants à mettre les poésies en chanson pour mieux les apprendre. Marie, notre rédactrice, 48 ans après, se souvient toujours de « Marinette va à l’école et elle vole et elle vole sur les ailes d’un bourdon » avec l’air qu’elle avait trouvé.
Petite révolution à l’époque Freinet, les enfants s’expriment librement par l’atelier d’imprimerie ! Un texte est librement rédigé, à la maison ou à l'école, individuellement ou collectivement. Il est choisi par la classe pour être imprimé. Il est exploité grammaticalement et analysé du point de vue des intérêts des élèves qu'il révèle. Les questions et les problèmes dégagés, d'ordre historique, géographique, technique, etc. donnent l'occasion d'expériences physiques, de travaux d'atelier, de recherches documentaires. La classe se répartit les tâches, y compris celle fortement prisée à l’époque de « typographe ». En effet, en classe, les enfants disposent de caractères mobiles d’imprimerie (inversés !) avec lesquels on constitue le texte, puis on passe le rouleau encreur, on appuie la feuille sur le texte et magie : le texte est reproduit et diffusé aux familles, dans le village. Journal scolaire, poèmes, lettre, les élèves s’expriment librement.
La classe promenade
Enfin, Freinet découvre en 1922 une école allemande où se pratiquent les promenades scolaires. Chaque début d'après-midi, les élèves prennent leur crayon et leur ardoise et partent explorer leur milieu. De retour à l'école, ils écrivent leurs impressions dans de brefs comptes rendus. C’est un peu « la classe dehors » d’aujourd’hui. Dans la pédagogie Freinet, ce n’est pas une sortie scolaire - avec un but - ni une balade passive : les élèves observent, notent, rapportent, s’interrogent sur leur environnement. Freinet pense que les enfants aiment travailler si tant est qu’on leur laisse un peu « la bride sur le dos » et ses techniques sont beaucoup moins appuyées sur le jeu que Montessori. Mais quand il y a jeu, il prône des jeux extérieurs. Visionnaire on vous dit !
"La classe promenade, c'est la leçon de la nature et de la vie, non plus la leçon des livres. C'est la vraie leçon, non préparée pour faire leçon et d'autant mieux saisie" disent les Freinet.
Et vous ? Inspiré-e par Freinet ou pas du tout ? Et si oui, quelle technique mettez-vous en pratique en classe ?
Sources et ressources :
Œuvres de Célestin Freinet :
- L'imprimerie à l'école (1927).
- Plus de manuels scolaires (1928).
- Les techniques Freinet de l'École moderne (1964).
- Les techniques Freinet de l'École moderne (1964), Paris, Librairie Armand Colin, collection Bourrelier, 144 p.
- Célestin Freinet, Pour l'école du peuple (1969), Paris, Librairie François Maspero, 181 p
- Célestin Freinet, Œuvres pédagogiques, Seuil, 1994. Édition en deux tomes établie par sa fille, Madeleine Freinet.
- Tome 1 : L’éducation du travail (1942-1943) - Essai de psychologie sensible appliquée à l’éducation (1943).
- Tome 2 : L’école moderne française (1943). Autre titres ; Pour l'école du peuple (1969) - Les dits de Matthieu (1954) - Méthode naturelle de lecture (1947) – Les invariants pédagogiques (1964) - Méthode naturelle de dessin - Les genèses.
[1] On parle de techniques (car la technique évolue) plus que de « méthode » qui implique trop un cadre immuable.